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Memento Mori - Même les cathédrales ne sont pas éternelles
Comme les vagues et le vent effacent les mots gravés dans le sable, les émotions qui ont pu paraître d’une violence inouïe disparaitront sous l’écorce de l’oubli. Le corps, le cœur, l’âme exultant de passion ou à vif de douleurs s’apaiseront sous la ténacité du temps qui passe. La clepsydre, implacable, compte les jours qui restent avec la régularité d’un métronome et rappelle avec cynisme et cruauté que tout est éphémère, même l’Homme, cancrelat à l’échelle de l’univers. Cet homme devrait alors ne pas s’économiser, respirer, écouter, partager sans compter. Aimer et vibrer, essayer d’effleurer la quintessence de la vie, toutes ces choses qui finalement se donnent sans jamais s’épuiser. À l’heure où la tendance est au repli sur soi et plane la menace de l’érosion dans la mémoire collective des événements qui ont marqué notre humanité, j’exprime aussi mon espoir que subsistent quelques traces presque immatérielles d’erreurs à ne pas répéter.
Cette série est donc à lire autant
qu’à voir et évoque la réminiscence de l’être.
Comment retenir ce qui échappe ? Peut-on
se résigner à l’oubli - l’oubli même de femmes
pourtant célèbres qui, par leur engagement,
souvent leur résistance, ont marqué notre
histoire ? Le titre de la série contient
certainement une partie de la réponse.
C’est donc bien au-delà de la représentation
mimétique des portraits et des corps que
je questionne la mémoire. Ma gestuelle, le
choix de peindre à l’huile en niveaux de gris
plutôt que céder à la distraction de la couleur,
intègrent en profondeur mon discours. Ma
peinture est posée, en mouvement, étirée,
délavée, faisant apparaître ou disparaître
toute représentation. Tout cela donne
une dimension expressive aux œuvres
entretenant une relation à peine dévoilée
avec la littérature, la photographie et la
philosophie…
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"A propos des peintures de Sophie Pirot
Des enfants escaladent la surface de la toile, dansent entre deux lignes de fuite, sucent leur pouce dans le sucre des glacis, s’endorment dans le cadre de la peinture. Des femmes se dérobent au regard, se débattent dans leur châssis, reprennent leur souffle dans les mille variations du blanc au noir. Sophie cadre une image comme l’on sert un cou, le corps n’est plus qu’un assemblage de chairs contraintes, qu’un lacis d’ombres et de lumières incarnées. Portraits corsetés, fines lingeries de l’œil, désirs lacés, et le voyeur assiste, interdit, à ce spectacle fixe et monochrome. Mais ces corps peuvent aussi s’éclairer de couleurs, s’en asperger, comme d’un parfum, jusqu’à l’ivresse. Les membres se font alors gestes de peinture, s’abstraient et flottent en apesanteur dans un espace polychrome inédit. Et un arc-en-ciel apparaît au-dessus de la forêt, la lumière s’alliant aux eaux de la peinture, dans cette union sacrée. Et des cerfs surgissent des futaies, leurs bois encore humides de ce miracle. Partie d’une pratique abstraite aux matières géométriques, Sophie a ensuite affuté son art en allant à la rencontre de la représentation du réel via le corps. Aujourd’hui elle ose à nouveau des compositions plus abstraites, forte de son expérience de la figuration. La sécheresse des débuts a laissé la place à un lyrisme lumineux, libéré des conventions, Sophie peut maintenant laisser pleinement s’exprimer sa singularité.
François Liénard, décembre 2017
Les femmes de Sophie se contorsionnent, se tordent dans leur cadre, claquemurent leurs désirs et leurs peines, se font violence dans leurs monochromes. Peintures corsetées, soyeuses, lingeries fines du noir et du blanc. Dans Delicate, le cadrage est si serré que le corps n’est plus qu’une abstraction de chairs, qu’un entrelacs d’ombres et de lumières. S’il fallait tracer des parallèles avec d’autres arts, c’est vers la photographie que nous partirions, du côté des poses et des natures mortes d’Edward Weston ou d’Imogen Cunningham. Dans Breathe, c’est le vent qui construit littéralement l’image, dans The Dream Maker c’est la tension d’un lacet de corset, dans Who Are You, c’est un pan de nuit. Tout l’art de peindre est là, et le sujet finit par importer peu en fin de compte. Sophie possède cet art du cadrage qui emporte le corps au-delà de ses désirs pour aborder le territoire des lignes et des formes qui nous content d’autres histoires, qui nous transportent vers un ailleurs. Dans Bliss, une femme quitte le noir et blanc et s’asperge de couleurs, c’est une belle manière de parler de peinture et de l’illustrer sans détours. Et dire qu’il y a quelques années seulement, Sophie s’emmêlait les pinceaux dans des abstractions aux matières rugueuses, aux reliefs inutiles. La représentation du corps a libéré son art, lui a offert un monde à peindre qui n’est pas prêt de s’épuiser."
François Liénard, août 2014.